
« Qu’est-ce qui vous plait tant que ça, dans la guerre ? »
Hans Ott, le soldat allemand, tourna la tête.
« Hein ? »
Ce n’était quand même pas ce chien qui avait parlé. Les chiens, ça ne parlait pas, se dit Hans Ott. Tant mieux, car sinon, je pense qu’ils n’auraient pas grand chose à nous dire. La bête était apparue tandis qu’il se reposait sur le perron d’un immeuble comme il n’en avait jamais vu. Drôle de ville que cette ville dont le nom était imprononçable en allemand. Partout de la brique ! Des briques rouges et brunes à n’en plus finir ! Un océan de rouge ! Et des cheminées aussi ! Une forêt entière qui crachotait des bouffées malingres et remplissait le ciel d’un voile grisâtre qui obscurcissait la vue des nuages. Comment pouvait-on vivre dans un endroit pareil, se demanda Hans Ott, le paysan bavarois. Ça et maintenant un chien qui parlait. On ne l’avait pas absolument pas prévenu de ces bizarreries et cela le mit en colère.
Il aurait préféré rester chez lui, même s’il comprenait très bien les raisons du Kaiser d’envahir la France. Après tout, c’était les français qui avaient commencé. Et il fallait bien les punir de leurs provocations. Hans Ott se rasséréna : dans 3 jouts, tout serait fini et il pourrait rentrer à la maison.
« Si, c’est moi qui ai parlé, lui répondit le petit teckel, qui tirait la langue en le regardant avec ses yeux miels. »
« Comment je peux te comprendre, lui rétorqua le soldat ? Tu es un chien français. Tu ne parles même pas allemand. »
« Bah, ça n’est pas un problème, je te parle en pensée. En pensée, il n’y a pas de langue. Donne-moi un bout de saucisse ! »
Hans Ott dégaina la lame de son canif et détacha une rondelle de son morceau de saucisson qu’il jeta au petit animal.
« Tiens ! Régale-toi ! »
« Ta femme ne te manque pas ? » dit le toutou tout en mâchonnant la chair tendre et rose de la rondelle.
« Comment sais-tu que j’ai une femme ? »
« Ah ah ! Tu poses trop de questions, l’allemand ! Disons que j’ai du flair. »
Petra surgit dans la tête alourdie par le casque de Hans. Elle était en train de mettre un gâteau au four. Son gâteau préféré, avec de la noisette dedans. Hans Ott sourit.
« Oui, elle me manque. Tous les chiens parlent comme toi en France ? »
« Non, je suis le seul, mais je suis un peu spécial. En fait, je suis ton imagination qui te joue un tour. Tu es fatigué, Hans Ott. Tu aimerais rentrer chez toi. »
« Oui, répondit simplement le soldat de seconde classe du 3ème régiment de la 5ème division de la première armée (à vérifier). »
Il se demanda aussi comment se portait sa vache et son propre chien, Frenzie. Son berger allemand.
« Je me suis perdu, expliqua-t-il au chien. »
« Bien sûr, lui répondit l’animal ! Cela arrive. Ça n’est pas comme si c’était une désertion, ajouta-t-il. »
« J’ai bien le droit de faire une pause, non ? »
« Oui, oui, lui dit le chien ! Laisse donc les autres se battre, ils sont bien suffisamment nombreux pour ça. Un homme en plus ou en moins, qu’est-ce que ça peut faire ? »
« Qu’est-ce que ça peut faire, répéta l’allemand ».
« Si tu veux te cacher, continua le chien, je connais un endroit. On t’y accueillera. »
« Me cacher ? Qui m’accueillera ? »
« Des gens, dit mystérieusement le chien. Des gens. »
Le soldat Hans Ott réfléchit. Cette proposition ne lui paraissait pas idiote. Se cacher ici, être soigné par il ne savait pas qui exactement, attendre la fin et revenir à la maison. Il n’y avait pas de meilleur programme ! Comme le disait le chien, ça n’était pas un soldat de plus ou de moins qui ferait la différence. Toute cette histoire serait finie dans quelques jours. Il n’aurait pas à s’esquiver longtemps et personne ne se rendra compte de rien. On pensera qu’il était mort, voilà tout ! Cela lui paraissait un très bon plan, une très bonne proposition. Hans Ott se félicita d’avoir rencontré ce chien. C’était une sacré chance !
Il suivit l’animal qui trottinait entre les façades rouges dont les fenêtres noires masquaient les habitants qui observaient ces soldats avec leurs drôles de casques pointus. Ils glissèrent ensemble dans une saignée qui tranchait une partie du sol d’un terrain en chantier, escaladèrent quelques monticules, zigzaguèrent entre des alignements de colonnes en béton, puis disparurent tous deux dans un large trou sombre creusé dans un recoin disparate.
Quand, quatre ans plus tard, les canons se turent et qu’on compta les morts, et qu’on les enterrai sous des alignements de croix, et qu’on écrivait des noms dessus, Hans Ott reposait théoriquement dans un très bel endroit, à l’ombre de quelques châtaigniers (lui qui aimait les noisettes, ça tombait bien), en terre française, cette si belle terre lourde et noire qui avait été arrosée avec tant de sang qu’elle serait encore fertile pour des millénaires.
Théoriquement.