Façades

Mamouna Belkacem, la Reine des abeilles

Cliquez sur l'image pour voir la façade telle qu'elle est aujourd'hui
Ça ne la dérangeait pas que les abeilles se posent sur elle pendant qu’elle prenait son petit-déjeuner devant sa maison. Les fleurs qui formaient une épaisse moquette odorante sur sa façade étaient devenues le garde-manger de toutes les colonies de la ville. Elles venaient de loin pour récolter le pollen particulièrement raffiné de Fatima, bien meilleur que celui des rond-points qui, qu’on en dise, avait toujours un petit arrière goût de particules fines. La réputation du mur de Mamouna dépassait même les frontières de Roubaix. Elles venaient de tous les environs pour approvisionner leurs ruches. On se la recommandait comme une bonne adresse qu’on se refile entre connaisseurs. Et il fallait venir de bonne heure si on voulait se réserver une bonne place. Des disputes éclataient parfois pour savoir qui aurait la meilleure rose, la meilleure glycine. Les abeilles n’étaient pas exemptes des travers humains, même si leur tout petit cerveau ne leur permettaient pas des interactions sociales aussi complexes.

« Mais quel salaud, prononça entre ses dents Fatima. Quelle ordure, ce Brian ! », en reposant son livre

Brian venait de faire le coup le plus tordu qui soit à Priscilla, la princesse des Charmes, ainsi qu’on l’appelait, à cause des arbres qui peuplaient le parc de sa demeure sur les hauteurs de Hollywood.

Brian n’était qu’une brute épaisse, un goujat, un malpropre, un charmeur de mauvais aloi, un triste sire… si beau à l’extérieur, si laid à l’intérieur, se disait Mamouna. Se pavaner en Bugatti ne donnait pas tous les droits, et certainement pas celui de tromper Priscilla. Pendant que ces pensées la traversait, elle prit le verre qui était posé à côté d’elle sur la petite table de jardin et but une goutte de son breuvage : un petit pastaga frais dont elle aimait le goût et la sensation qu’il lui faisait quand il lui montait à la tête. Et peu importe les qu’en dirait-on. Peu importe les conversations de voisinage. Ils disaient qu’elle était une mauvaise musulmane. Elle s’en moquait. Allah n’interdisait pas d’être heureuse.

Elle coupa la musique qui sortait du smartphone rutilant que lui avait offert Mohammed, son frère, et regarda l’heure. 16h15. En se soulevant lentement, elle prit la direction de sa cuisine et alla en retirer une pâtisserie sucrée qu’elle offrit à son estomac affamé.

« Tu manges trop, Fatima ! » Elle revoyait sa mère qui lui avait répété plus de mille fois cette phrase. « Tu manges trop, Fatima ». Elle, la petite grosse, toujours affamée, toujours un goûter à la main et une pâtisserie dans la bouche. « Tu manges trop ». Sa mère qui, à la fois, lui montrait le bâton et, à la fois, lui donnait toujours de quoi combler son insatiable appétit. Si elle la voyait maintenant. Mais depuis longtemps, elle était au paradis, et Fatima mangeait quand elle voulait maintenant, sans que la sentence maternelle jamais ne tombe encore.

Maintenant, elle prenait son temps. Personne ne lui disait ce qu’elle devait faire. Et la seule chose qui la chagrinait était l’attitude insupportable de Brian qu’elle aurait bien étranglé de ses mains.

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