
Tous les soirs s’engageait un dialogue difficile au sein du couple Verlynck, les deux habitants du 57 de la rue du Grand Chemin.
Elle : Tu a su ? Il parait que Mme Belkacem s’est faite attaquer par ses abeilles. Ils l’ont amené à l’hopital. Elle en a pour plusieurs jours à se remettre.
Lui : J’ai toujours dit que c’était une folie, ces abeilles.
Elle : N’empêche que tu l’aimes bien son miel.
Lui : Ce n’est pas parce que je l’aime bien que je ne pense pas que c’est une folie. Et que cette bonne femme est une folle !
Elle :Tu dis toujours du mal des autres.
Lui : Comment ça, toujours ? Je critique ceux qu’il y a à critiquer, c’est tout. Ce n’est pas tout le monde.
Elle :Tu ne peux pas t’en empêcher.
Lui : Oh très bien, j’ai compris, je sais ce que tu veux.
Elle : Quoi ?
Lui : Me chercher des poux, ton jeu favori.
Elle : Absolument pas, qu’est-ce que tu inventes ?
Lui : Si, tu ne peux pas t’en empêcher. C’est plus fort que toi. Il faut que tu me critiques.
Elle : Tu n’as qu’à pas critiquer les autres, tout le temps.
Lui : Les autres n’ont qu’à ne pas être aussi critiquables.
Elle : Personne n’est assez bien pour toi.
Lui : Personne ne se comporte bien.
Elle : Et c’est reparti ! A t’écouter, tu serais la seule personne raisonnable dans cette ville.
Lui : Pas la seule ! Une des seules ! La plupart des gens ne font pas ce qu’il faut.
Elle : Monsieur Parfait !
Lui : Non pas Monsieur Parfait, sauf que moi, je suis parfaitement conscient de mes défauts.
Elle : Ça, ça n’est pas évident.
Lui : Cite-moi un défaut ! Un !
Elle : C’est facile, il y en a tellement.
Lui : Ah oui, eh bien, vas-y, j’attends, j’écoute.
Elle : Eh bien, tout d’abord, que tu n’écoutes personne, et surtout moi, en premier.
Lui : Toi, en premier ? Je ne t’écoute pas.
Elle : Oui. Par exemple, de quoi parlions-nous en début de conversation ?
Lui : En début de conversation ? Laquelle ?
Elle : Laquelle ? Eh bien, celle que nous avons là, présentement.
Lui : Ce n’est pas une conversation, c’est un réquisitoire.
Elle : Appelle ça comme tu veux, en attendant, tu n’as pas répondu à ma question.
Lui : Je ne réponds pas à ta question, parce que c’est un piège pour pouvoir démontrer ton raisonnement, faux, par ailleurs !
Elle : Et donc ?
Lui : Ah ah, mais c’est facile ! Comment espères-tu me berner ?
Elle : Oui ?
Lui : Eh bien, je ne te le dirai pas, c’est tout. Je ne vois pas pourquoi je te ferai ce plaisir.
Elle : C’est bien ce que je pensais.
Lui : Eh bien, vas-y toi ! De quoi parlions-nous au début de cette conversation ? C’est facile de lancer des accusations, encore faut-il être soi même irréprochable.
Elle : Je le sais très bien de quoi nous parlions. Tu essaies simplement de me faire dire la vérité pour que tu puisses dire toi même que tu le savais.
Lui : Pas du tout ! Tu vois, toi même tu ne le sais pas. Tu me lances des pièges dans lesquelles tu tombes toi même.
Elle : Ah ah, ce que tu es drôle ! Et pathétique à la fois. Je me demande pourquoi je t’ai épousé.
Lui : Oui, on se le demande. Pourquoi avoir choisi un type si odieux, si abominable, si aigri ? Quel plaisir peut-on avoir à cela ?
Elle : Tu n’étais pas comme ça avant ?
Lui : Avant ? Avant quoi ?
Elle : Avant que tu ne changes !
Lui : Avant que je ne change ? Mais tu racontes n’importe quoi, ma vieille, n’importe quoi !
Mr Verlynck reprend son téléphone portable et se remet dans les nouvelles. Un lourd silence s’installe entre Monsieurs et Madame Verlynck. Nous savons qu’ils recommenceront démain à se disputer au sujet de Mme Belkacem… C’est ainsi. Ainsi vont les vieux couples.